Les droits du ciel

Publié le 16 Mars 2018

fleuve Whanganui

fleuve Whanganui

En mars 2017, le gouvernement néozélandais accorde le statut de personne juridique au fleuve Whanganui, un cours d'eau cher aux Maoris. En Inde, le Gange et la Yamuna sont décrétés « entités vivantes ayant le statut de personne morale ». L’Équateur en 2008 inscrit dans sa constitution « la nature ou Pacha Mama – la terre mère – où se produit et se réalise la vie, à droit au respect absolu de son exigence et au maintien de la régénération de ses cycles vitaux, de ses fonctions et processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nation, pourra exiger de l'autorité publique le respect des droits de la nature ».

 

C'est la question de ce soir : les écosystèmes ont-ils des droit et peuvent-ils, comme pour les individus, être représentés en justice ?

 

La réponse se retrouve dans la dimension anthropologique, philosophique et culturelles au cœur d'une telle reconnaissance.

 

La culture occidentale, par essence cartésienne, établit une séparation entre l'humanité et la nature. Plaçant l'homme au dessus de tout, elle rechigne donc à accorder une personnalité juridique à des entités naturelles. Le cœur de l'argumentation juridique prend en considération l'impact sur les droits humains ou les lésions qui en découlent. Non pas la reconnaissance des droits de l'entité naturelle en tant que telle.

 

En donnant un statut – comme c'est déjà le cas pour d'autres entités abstraites, comme une entreprise, une école ou un hôpital, qualifiées de personne morale, – en accordant une personnalité juridique à la nature donc, une plaidoirie directe peut avoir lieu en son nom.

 

Mais pour cela, il faut croire qu'une fleuve, le ciel ou la mer soient des entités vivantes et actives, et qu'elles ne se limitent pas à de la matière inerte et manipulable à loisir, comme c'est souvent le cas dans nos pays occidentaux. Par exemple, les entreprises ont des droits supérieurs à la nature : elles peuvent attaquer un pays en justice si elles se sentent lésées, mais les écosystèmes ou les ressources naturelles peuvent quant à elles être impunément pillées et détruits – l'exploitation et les profits priment donc sur la préservation des ressources qui permettent de les produire.

 

User et abuser

 

Dans le droit civil occidental, la propriété est un droit individualisé d'user et d'abuser : le concept individuel fait place à l'intérêt collectif uniquement lorsque le rapport à l'environnement comporte une dimension collective importante. Parce que les changement de cet environnement peuvent avoir un impact sur les hommes donc. Et uniquement à ce titre. Ce ne sont pas les qualités propres de l'entité naturelle à protéger qui priment, mais les conséquences de leur dégradation sur l'homme. On en viendrait à croire que l'homme n'est plus issu de la nature mais qu'il en est le créateur, car c'est la nature aujourd'hui qui doit s'adapter à l'homme.

 

Biodiversité et diversité culturelle sont liées : la reconnaissance d'une connexion spirituelle ou la légitimité donnée à des entités vivantes ou naturelles dépendent de notre rapport au monde et aux éléments. Dans les sociétés traditionnelles où la communion existe, la question ne se pose pas - la base du chamanisme comme des savoirs ancestraux - est de reconnaître l'homme dans son rapport au monde, comme étant l'un de ses constituants au même titre que les autres. L'homme est soumis à la nature et par le contraire. Mais dans nos sociétés au rationalisme exacerbé et sur-puissant (j'en ai souvent fait les frais - peut être certains d'entre vous mes frères, se reconnaîtront-ils également), dans nos esprits sur-rationnels donc, on regarde les éléments naturels sous l'angle d'objet et d'utilité. Ceci se fait au détriment d'une approche globale et de la reconnaissance des interactions au sein d'un système avec lequel l'individu à pu co-évoluer et qui le constitue.

 

Nous regardons le monde extérieur à travers le contenu de notre propre mentalité. C'est la notion de projection. Nous projetons sur le monde nos propres contenus psychiques. Dès lors, la nature est vue soit comme un bien commun à humanité et exploitable à souhait – soit comme une entité naturelle et vivante, qui dès lors peut acquérir un statut en tant que tel.

 

La défense des droits de la nature comme bien commun à l'humanité est une évidence, mais nous pouvons aller plus loin et leur reconnaître la légitimité à disposer de droits réels. Droits qui s'exercent au premier plan contre l'homme. Attribuer des droits individuels à des entités naturelles suffira t-il à les défendre contre les intérêts économiques ?  Quels gardes fou permettent de préserver la planète et les systèmes qui la composent de l'activité dévastatrice des hommes? La nature ne peut-elle pas disposer de droits, en sa qualité de créateur et d'hébergeur de l'homme et de toutes les autres espèces?

 

Pour rendre le changement de paradigme possible, c'est notre rapport au monde et ce qui le constitue qui doit évoluer via une prise de conscience individuelle et collective.

 

La conscience règne et ne gouverne pas dit Paul Valéry. Alors conscience, nous voilà.

 

Rentrons à présent dans le vif du sujet et voyons notre question sous l'angle de la conscience. Essayons de répondre à l'objection selon laquelle la nature ou ses constituants, contrairement à l'être humain, ne sont pas dotés d'un esprit ou de conscience d'eux même, qu'on ne peut les mettre au même plan que l'homme, qui domine « naturellement » sur toute chose... à quel titre d'ailleurs? Son intelligence ? A moins qu'il s'agisse de son orgueil et de sa vanité...

 

Doit-on considérer les éléments naturels comme de la matière inerte et morte ou peut-on considérer qu'ils ont une légitimité existentielle? Leur accorder un certain niveau de conscience pourrait leur donner un peu de crédit à nos yeux. Nous parlons bien ici des animaux, des végétaux, des minéraux ou de tout ce qui constitue le cosmos et l'univers.

 

La conscience est pour André Comte-Sponville est l’un des mots les plus difficiles à définir. Selon Jung, être conscient, c'est percevoir et reconnaître le monde extérieur ainsi que soi-même dans ses relations avec ce monde extérieur. Cette définition s'applique t-elle aux êtres sensibles, aux animaux ou encore aux végétaux?

 

Prenons comme exemple les abeilles et les plantes. Saviez-vous que les butineuses ont pour habitude de se spécialiser pendant un temps sur les fleurs d'une plante particulière : elles mémorisent un parfum, une forme et une couleur, et elles s'y attachent. Cela s'appelle la constance florale et joue un rôle majeur dans la pollinisation des abeilles et de la vie sur terre. Selon les types de fleurs donc, la production de pollen et de parfum diffèrent au cours de la journée. Nos butineuses gardent en mémoire les heures les plus propices et en conservent le souvenir pendant plusieurs jours. Car comme les fleurs, leur horloge interne leur permet d'associer un événement donné à un moment particulier de la journée. Ainsi les fleurs et les abeilles se rencontrent-elle à un moment très précis. L'un et l'autre s'y préparent comme on irait à un rendez-vous galant : les fleurs s'apprêtent en se parfumant et émettent crescendo une diffusion d'essences subtiles, les abeilles quant à elles partent en avance, afin de rejoindre les fleurs au moment prévu, ce paroxysme de senteurs qui constitue un rendez-vous immanquable.

 

Autre illustration. Le rythme des plantes vient aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur. De l'extérieur car la sensitive, mimosa Pudica, se referme aussitôt et s'incline vers le bas si on touche même légèrement l'une de ses feuilles, afin de se protéger des intempéries ou des prédateurs. Cette fleur suit de plus un cycle d'ouverture et de fermeture journalier, qui est issu de son cycle circardien – le rythme circadien est un cycle d'une période de 24h qui est présent dans la plupart des espèces -  c'est cette horloge biologique qui rythme les jours et les nuits des espèces animales et végétales... et de l'homme. Et de l'intérieur car cette plante continue à suivre son cycle d'ouverture et de fermeture même lorsqu'elle est plongée dans l' obscurité. Cela montre que la perception de la plante de l'alternance du jour et de la nuit ne se limite pas à la lumière car elle se poursuit même en son absence. Son activité se base sur son horloge interne circadienne et reste synchronisée même plongée dans le noir. On peut dire que comme l'homme, elle sait anticiper le jour et la nuit.

 

Quid des arbres, dont les récents best-sellers montrent un système de communication développé et ingénieux, que ce soit dans l'air ou dans le sol. Ils s'entraident, se préviennent, évoluent ensemble dans un environnement donnée. Ne méritent-ils pas dès lors un minimum de reconnaissance et des droits – sans oublier qu'ils nous permettent tout simplement de pouvoir respirer.

 

Idrisse Aberkane, dans son ouvrage libérer votre cerveau,va jusqu'à poser la question de la communication et de la cognition des étoiles, répondant que cette cognition nous dépasse et n'est pas observable dans le temps où vit l'humanité, soit autour de 200 000 ans. Il s'appuie sur les caractéristiques autopoïetique (qui désigne tout système qui s'auto-organise dans une limite qu'il créé lui-même) et le mécanisme de reproduction avec enrichissement, qui sont des caractéristiques des cellules vivantes comme des étoiles. In fine, tous les êtres et les choses ont une autre caractéristique commune, qui est la recherche de l'équilibre, appelée homéostasie. Pour cela, ils interagissent avec leur environnement, nouent et dénouent des relations spécifiques qui évoluent avec leurs perceptions qui s'expriment sous différentes formes. En tant que système qui interagit et recherche un degré d'équilibre, la terre, le ciel ou les étoiles peuvent donc être considérées comme des entités vivantes et agissantes.

 

Christophe André, le célèbre psychiatre philosophe ami de Mathieu Ricard le moine et d'Alexandre Jolien né infirme moteur cérébral et devenu philosophe renommé le dit ainsi, je cite : «  La grande majorité des scientifiques contemporains se reconnaît dans le paradigme matérialiste et estime que c'est le cerveau qui produit la conscience. Mais sans récuser ce paradigme, certains se demandent si la conscience ne serait pas un état de la matière universelle, au même titre que l'espace temps, la masse ou l'énergie. Autrement dit, la conscience pourrait exister indépendamment de la condition humaine qui ne ferait qu'y accéder ou s'y connecter. » Le changement de paradigme s'amorce.

 

Ne fait pas à autrui ce que tu m'aimerais pas que l'on te fasse peut on entendre souvent sur  nos colonnes. Mais à qui cel s'applique t-il ? Aux êtres humais seulement ? Aux animaux ? Aux végétaux ? J'irai pour ma part jusqu' à accorder une essence à toute chose naturels et reconnaître la chaîne globale des êtres et de leur manifestation, dont l'homme n'est qu'une infime partie. Nous sommes des poussières d'étoile selon la formule consacrée d'Hubert Reeves. Des enfants du Cosmos, au même titre que chaque élément qui le compose. Les cultures millénaires le savaient, nos sociétés soi-disant modernes et civilisées le découvrent peu à peu, dans le cadre d'une pensée globale, qui comme aime à la rappeler Edgard Morin, permet de voir les choses dans leur ensemble, penser et voir globalement, afin de réunifier notre être et ses composantes visibles ou invisibles au monde qui nous entoure.

 

La pensée occidentale reste inexorablement avide de décortiquer, analyser, isoler et séparer pour comprendre. C'est une pensée réductionniste et notre pensée fonctionne ainsi depuis le siècle des lumières si ce n'est depuis Aristote. Si cela ouvre indéniablement sur certains résultats, nous entretenons l'illusion de croire qu'un esprit analytique peut appréhender des phénomènes qui demandent une approche et un esprit intégratif. L'outil que nous utilisons, le cerveau, est lui-même façonné de telle sorte qu'il empêche l'accès à cette intégration.

 

Peut-être le temps est-il venu de cesser de vouloir faire rentrer la nature dans nos cases étriquées et de lui redonner la juste place qu'elle occupe. Car au lieu de lui obéir, nous voulons la soumettre. Au lieu de s'en inspirer, nous la réduisons à notre entendement. Ou pire, à la satisfaction de nos désirs. Au lieu de la protéger, nous la détruisons. L'homme n'a jamais créé la nature, il ne sait même pas en réalité comment créer une seule cellule vivante. Pourtant, il entend maintenir sa domination sur elle. Nous marchons en vérité sur la tête à la manière d'un Frankenstein qui justifie ses exactions et affirme sa domination sans partage sur ce ou celui qui l'a créé : il se substitue à son créateur et en devient le bourreau.

 

Le mouvement inverse est appelé biomimétisme : il reconnaît le formidable réservoir que constitue la nature et s'inspire de ses formes, matières, propriétés, processus et de toutes fonctions du vivant. Léonard de Vinci, entres autres grands hommes, en fut un adepte.

 

Conclusion

 

Les actes cruels contre les animaux sont prohibés par la loi depuis 1963. En 2015, les animaux font leur apparition dans le droit civil comme êtres sensibles. Peut-on parler de progrès face à de telles évidences ? Elles nous rappellent que le chemin est encore long. Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir que cette maxime devienne une loi universelle dit Kant. Il est temps de la mettre en pratique et de faire preuve d'humilité face à la nature, poussière que nous sommes dans un monde qui nous dépasse mais que nous aimons à voir comme étant sous notre contrôle, alors que nous lui sommes soumis.

 

Notre rapport au monde et quelle place nous donnons à l'homme et la nature est en lien direct avec nos représentations, par essence subjectives - qui alimentent à leur tour notre vision du monde et conditionnent in fine son fonctionnement. La profondeur du monde vient de la subjectivité de l'homme qui la révèle.  Alors, reposons-nous à nouveau cette question : La nature doit-elle se plier à l'homme ou l'homme revoir son rapport à la nature et la place qu'elle occupe?

J'ai dit.

mimosa Pudica

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Rédigé par FR2

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