Publié le 29 Mai 2022

Vénérable Maître, MMTTCCFF, « Carnets de voyage(s) »… Pourquoi ce choix et cette façon
d’aborder certains aspects symboliques du chamanisme ?


Tout simplement, parce que, ce Midi, je voudrais vous inviter à un voyage, à des voyages,
intérieur et extérieurs. Toujours plus loin vers l’Orient, dans l’espace et dans le temps...


Enfant, j’ai grandi bercé par des contes et des légendes. Et ce n’est que tardivement que j’ai
compris qu’une grande partie de ces héros mythiques et des traditions liées ne me venaient pas
de mon papa, belge, mais de mon héritage hongrois, reçu en cadeau de ma maman, en même
temps que cette langue, si particulière et si ancienne.


Parmi ces contes et légendes, qui ont aussi bercé l’enfance de tous les petits Hongrois, il y avait
notamment les recueils de Benedek Elek, que je souhaiterais un jour pouvoir faire découvrir
mais cela, lors d’un autre voyage.


Grandissant, j’ai découvert Philippe de Dieuleveult, le héros de la Chasse aux trésors, cette
émission-jeu, basée sur le voyage, la découverte et les rencontres. Une émission qui m’a fait
rêver mais qui m’a aussi apporté énormément, en me faisant comprendre que la Vie, ma propre
vie, était une chasse aux trésors. Une chasse et une quête permanentes...


Adolescent, j’ai découvert un autre Philippe de Dieuleveult, l’aventurier-baroudeur, le
journaliste-pigiste lancé dans la chasse à l’info mais également le reporter parti clandestinement
sur les traces des médecins de MSF dans des terres lointaines et dangereuses.


Enfin, adulte, j’ai appris qu’en plus de tout cela, de Dieuleveult était aussi un idéaliste engagé,
un officier-parachutiste travaillant secrètement pour son pays, au sein du 11ème choc, le bras
armé de la DGSE… Haaaa, les apparences… Haaaaa, la réalité !


Le temps passe et notre âge évolue. Notre vision diminue mais notre perception augmente.
Nous grandissons, nous murissons, nous apprenons. Nous voyons différemment et nous
enrichissons notre connaissance, et réciproquement…


Dieuleveult aimait dire : « Entre la vie et la mort, il y a un grand vide, il faut le remplir ». Il
décrivait l’information comme étant « le récit, ou l’histoire, d’un cœur qui a vu et désire ne
pas être le seul à vibrer
». Il ajoutait aussi que « le merveilleux est assoupi n’importe où, à
tout instant
».


Carnets de voyage(s), donc, pour aller à la rencontre, à la recherche du merveilleux, partout
autour de nous, et dont nous ne savons parfois même pas qu’il puisse exister…


Lors d’un voyage, d’un séjour en Hongrie, il y a 8 ans, j’ai vu, j’ai découvert et j’ai vibré. Et je
voudrais aujourd’hui partager mes surprises, mes Carnets. Il y a 5 ans, je présentais cette
planche, du moins en l’état d’alors de mes Carnets, au sein de ma Loge-Mère, en préparation
justement d’un voyage de loge, pour venir ici, à Budapest.


Ainsi, ici et ce Midi, cette planche, je la partage doublement chez moi, et cette boucle est
bouclée, d’autant plus que mes premiers pas de Comp:. m’avaient conduit ici même. Et c’était
aussi un… 17 mai.

Il y a 8 ans donc, j’ai pu découvrir une cérémonie spécifique, celle de la hutte à suer. Cette
cérémonie est codifiée : elle se déroule en suivant un rituel précis, avec toute une symbolique
des couleurs et des nombres, ainsi qu’une géométrie sacrée.


Tiens, une petite digression : en hongrois, le terme désignant une « cérémonie » est szertartas...
Szer pour « instrument, outil », mais aussi « produit ou matière » et tartas pour
« maintien », « ce qui tient ». Une « tenue » peut-être ?


La langue hongroise est très ancienne, « originale » aussi. Elle a gardé des caractéristiques
propres et uniques. Sa construction même montre déjà une certaine conception de la Vie, une
approche très spirituelle. Mais surtout, elle est précise et très porteuse de sens : je vous laisse
méditer sur le sens profond des mots hongrois pour exprimer ce qu’est l’amour : szer-etet,
« qui nourrit », et szer-elem, « l’énergie », avec en son coeur cette racine « él », la « vie »…
Pour en revenir à cette cérémonie chamanique, j’ai été étonné de découvrir certains
parallélismes avec l’Art Royal que nous pratiquons. J’espère que notre voyage ce Midi vous
conduira peut-être, qui sait, en terre lointaine mais aussi vaguement familière.


Carnets de voyage(s) donc, car, loin d’une étude scientifique exhaustive, chacun couche dans
ses Carnets ses propres impressions, son ressenti, ses souvenirs de ce qui l’a marqué. Parfois ou
souvent, on les ressort : on les relit, on les annote, on les corrige, on en biffe certaines phrases et
on en rajoute d’autres. Et on peut alors se rendre compte du chemin parcouru, du champ de
l’infiniment possible qui a été révélé, et qui ne demande qu’à être exploré…
La découverte de la hutte à suer m’a donné envie d’aller plus loin, de gratter et de découvrir
encore plus… C’est cette envie, cet autre voyage aussi que je souhaite partager, car le voyage
ne s’arrête pas…


Voyager permet de sortir du chemin prévu, pour aller voir de plus près un point de curiosité le
long de la route, un vieux château ou une petite église, ou encore un panorama, qui permet de
mieux admirer la beauté du paysage ou de le voir différemment.


C’est aller autour de soi, mais aussi plus profondément en soi, de découvrir et de se dé-couvrir
en-dehors de ses attentes, de partir à la rencontre de l’étranger ou du différent, de s’émerveiller
ou de s’interroger, puis de poursuivre son voyage.


Enfin, vigilance et persévérance - rappelez-vous ! - sont nécessaires en voyageant, tant en soi
qu’à l’extérieur... Vigilance, car les embûches sont nombreuses et le voyage parfois dangereux.
Difficile, aujourd’hui comme jadis, de parler de culture, de symboles, et même d’histoire ou
d’archéologie, sans voir le « politique » ou « l’idéologique » poindre son nez. Et même en soi-même…
Cela, surtout lorsqu’il est question d’un passé glorieux ou d’un âge d’or perdu. Dans
notre monde moderne, parfois en manque de repère ou à la recherche de son identité, ou d’une
identité, le danger est bien grand !


Pensez-y ! Bien souvent, l’Histoire a été écrite sous un Prince. Pour ou contre lui…


Il ne s’agit pas d’une lutte entre « modernes » et « traditionalistes » mais d’une opposition
entre « chercheurs », avides dans leur quête, qui veulent retourner aux racines des choses, de la
Tradition, de l’authentique, du vrai, face à ceux qui se contentent du « paraître », du facile et du
rapide, du prémâché ou qui ont juste un ego à combler.


Je pense aux pseudo-retours aux sources spirituelles et mystiques, par n’importe qui et
n’importe comment, à tous les « néo », à leur récupération politique. Et le chamanisme, avec
parfois son cortège de gourous-escrocs, d’abus en tout genre ou d’usage de psychotropes,
évoluant entre New Age, néo-chamanisme ou néo-druidisme, n’est pas épargné.


Danger ! Et donc, vigilance, mais aussi persévérance ! Car cette chasse aux trésors en vaut la
peine ! Et la sincérité dans la démarche en est également un mot-clé.

Avant d’aborder le déroulement d’une « tenue » de hutte à suer, je voudrais faire un petit
détour pour aborder en quelques mots certains aspects religieux plus particuliers, d’un
monothéisme très méconnu.


Le Moyen-Age a voulu figer la glorieuse descendante hunnique des Hongrois, tandis que le
19ème siècle, romantique et nationaliste à souhait, a aussi été, comme partout en Europe, celui
des renaissances ou plutôt des ré-écritures de l’Histoire.


Sous l’Absolutismus, il régnait la volonté d’établir une origine des Magyars dans le
prolongement et la proximité des Germains, plutôt que de lorgner vers l’Asie centrale. Et le
hongrois a ainsi été classé dans le groupe des langues finno-ougriennes, créé pour l’occasion.
L’origine des Magyars a été décrétée comme étant quelque part près de l’Oural, avec une route
de migration bien déterminée et fixée une bonne fois pour toutes, une route qui passe par le
Nord, traverse l’Ukraine pour aboutir enfin dans le bassin des Carpates…


Les découvertes archéologiques, comme le nombre de tombes ou d’artefacts découverts sur
l’autre voie supputée, celle du Sud, semblent permettre de remettre en question ce qui a été
longtemps admis et de s’intéresser à la piste menant plutôt à l’Asie Centrale, au Caucase, aux
anciennes relations décrites dans les textes de la Chine antique, aux points communs avec les
peuples proto-turcs et proto-iraniens... A leurs langues, à leurs coutumes et à leurs pratiques. Et
même à des caractéristiques bien particulières et communes dans la musique populaire ou dans
les motifs de décoration. Mais aussi à leurs croyances…


Au Moyen-Age, dans une volonté de récupérer le glorieux passé des Huns et justifier leur
royaume, les Magyars se sont prétendu leurs descendants. Une légende affirmait que, lors de la
Conquête, la Honfoglalas, les Magyars ne faisaient que revenir sur les terres de leurs ancêtres.
Certes, le mot français « hongrois » vient peut-être abusivement du mot désignant les Huns,
mais les similitudes à travers les siècles entre Magyars, Huns et Scythes sont quand même assez
troublantes.


Aujourd’hui, comme ailleurs en Europe, il existe toute une lame de fond, de retour aux sources,
de recherche « d’authenticité » et « d’antériorité », et cela, à toutes les sauces. Une volonté de
retour à cette Tradition, réelle ou fantasmée, qui rend cette recherche si délicate…
J’ai partagé cet inconscient collectif du folklore hongrois, aussi au travers de la langue, ma
langue maternelle, que je ressens plus que je ne peux l’exprimer.


Je sens et je vis cette langue, comprenant instantanément la portée des mots bien plus largement
que les lettres qui les composent. Parfois, quand je dois la traduire exactement, pour quelqu’un
d’autre, je redécouvre même le sens de certains mots en français.
Cette dernière décennie, j’ai été heurté par certains concepts, dont celui d’une « religion propre
aux Magyars », d’un Dieu spécifique aux Hongrois. Tout cela dans un climat de dérive
politique très marqué et dans une Hongrie pourtant très chrétienne…


Je voudrais reprendre avec vous le célèbre poème Nemzeti Dal de Sándor Petöfi :


Talpra magyar, hí a haza!
Itt az idő, most vagy soha!
Rabok legyünk vagy szabadok?
Ez a kérdés, válasszatok!
A magyarok istenére
Esküszünk,
Esküszünk, hogy rabok tovább
Nem leszünk! (...)


« A magyarok istenére »… Le « Dieu des Hongrois », mais quelle prétention ! Bon, d’accord,
nous sommes en plein élan patriotique, en pleine fièvre nationaliste et romantique du milieu du
19ème et du « Printemps des Peuples ». C’était la lutte contre la monarchie absolue des
Habsbourg et de leur Saint-Empire germanique, dernier bastion toujours féodal du monde
chrétien et grands défenseurs de la foi catholique.


L’histoire de la Hongrie est liée à cette Chrétienté depuis le roi Saint-Étienne, qui l’a propulsée
dans le monde « civilisé », en embrassant la foi chrétienne, en se soumettant à l’autorité morale
du pape et en convertissant son peuple, parfois par la force. Il a fait persécuter ceux qui avaient
conservé leur ancienne foi ou religion, « païennes », et qui pratiquaient les anciennes coutumes
et façons de guérir, désormais interdites… D’ailleurs, rappelons-le, « païen », « paganus »
signifie à l’origine « qui vient du village, rustique,… ».


D’aucuns disent que le roi Étienne n’avait pas le choix et que c’était une façon de pouvoir
garder ces anciennes connaissances toujours vivantes, mais cachées. Ésotériques…


Fini donc le règne des « Táltos », ces sortes de prêtres-guérisseurs, sages et magiciens, sorte de
« chamanes » bien spécifiques à la culture magyare… Et oui, j’ai découvert que les Táltos
n’étaient pas que des figures de légende, sorties des contes populaires. Leur rôle est décrit dans
divers textes antiques. Aujourd’hui, évidemment, cela peut faire sourire que certains - ici, à
Budapest (oui, oui) - suivent des cours pour devenir « táltos »…


Pourtant, on ne choisit pas d’être un « táltós », on n’apprend pas à le devenir. On est « choisi »,
« élu ». On est « reconnu » comme tel par les siens, par ses pairs, par son village…
Comme pour les « chamanes » mais toujours avec certaines spécificités locales, c’est le
« fabuleux », le « surnaturel », qui préside à cette désignation. L’élu est né avec une
particularité physique, un signe distinctif, comme un os ou un doigt en plus.


C’est souvent à l’âge de 7 ans que la vocation du futur Táltos apparaît ou va s’affirmer. Puis,
quand il sera effectivement appelé, un évènement va se produire : il y aura une attaque, la
maladie ou la foudre va frapper,...

Il est aussi question de rêves bien spécifiques, où la mort et le démembrement du corps de
« l’appelé » ont lieu : il va connaître la souffrance, subir la mort, puis être reconstruit avec du
fer à la place de certains os ou organes. S’il n’est pas nommé, notre forgeron n’est pas loin.


Le folklore populaire a fait d’un des célèbres rois de Hongrie, Saint László, un « roi-táltós » -
tiens, au fait, son prénom peut se traduire par Lancelot… - tandis que certains écrits, plus
mystiques et sujets à caution, parlent aussi du roi Étienne comme d’un « roi-táltós ».


Les contes et légendes hongroises font régulièrement référence au nombre « 7 », ainsi que
certaines expressions populaires, dont le sens a bien souvent été perdu. Dans les anciennes
civilisations, surtout celles de l’Asie, ce nombre a une aura particulière. Il y a beaucoup à
chercher et à découvrir, derrière ce qui semble innocemment apparent : des durées : 7 jours, 7
semaines, 7 années ; des distances ou des lieux : 7 montagnes, 7 mers, etc., etc.


Ma plus grande découverte, en voulant compléter mes carnets, a été celle d’une vraie et
historique religion proto-magyare, commune ou au moins similaire à celle à de nombreux
peuples du monde turco-mongol.


Faute de texte sacré ou de texte révélé, mais aussi de traces écrites, cette religion reste très
méconnue. Mais, pour qui sait et veut regarder, elle demeure pourtant très présente dans le
substrat culturel et folklorique, soit « populaire », et cela sans aucune connotation négative.
Il est difficile de déterminer sur les deux millénaires écoulés ce qui a exactement fait l’objet de
croyances ou de foi, ni quand ou comment. Et forcément, il est encore plus difficile de se
prononcer sur ce qui a précédé l’Histoire, avant la généralisation de l’écriture. Les chercheurs
en restent donc au stade des hypothèses, mais aussi d’une approche par comparaisons.
Cette ancienne religion, le tengrisme, ne fait l’objet que de peu d’études en Occident et il est
difficile de suivre son évolution au cours des siècles. Elle est pourtant encore activement
pratiquée dans divers pays d’Asie centrale.


Parfois décrite comme un monothéisme dans le polythéisme, elle se réfère à un Dieu supérieur,
une entité créatrice et unique, appelée « Kök Tengri », ou Tengri, le Ciel. Contrairement à
d’autres civilisations, sa particularité est de voir une fusion quasi totale entre le concept de
« Ciel » et de « Dieu ». Alors, qu’ailleurs, il y a plutôt une référence au lieu de séjour ou de
passage du dieu concerné, ou du fait que le dieu tire son nom du Ciel.


Il s’agit d’une religion manifestement partagée à travers les siècles par différents peuples, en
passant des Scythes aux Huns, aux Magyars, aux peuplades turques puis aux Mongols.
S’aventurer dans la découverte de cette religion pourrait se révéler une longue et riche quête,
pour remplir de nombreux carnets de voyage. En voici déjà, quelques clés. L’idée de
l’ascension au ciel de l’esprit y est présente. Pour les Türüks, ancêtres de nos Turcs actuels,
« Tengri », est le « Créateur du Ciel et de la Terre ». Chez les Mongols, on retrouve une
investiture du pouvoir temporel, octroyée à l’empereur par ce Dieu.


Certaines traces écrites existent, comme cette lettre adressée en 1290 par le chef mongol Argun
au pape Nicolas IV, dans un échange concernant la question de savoir si cela posait un
problème que des Mongols puissent se convertir au Christianisme. Argun expliquait : « les gens
entrés dans la religion chrétienne ne contreviennent pas à la religion et aux ordres du Ciel
éternel ».

Gengis Khan, en discussion avec un Musulman, a montré son incompréhension de la pratique
du pèlerinage à La Mecque. En effet, comme « l’Univers entier est la maison de Dieu, à quoi
bon désigner un endroit pour aller l’y adorer… ». Les Mongols commençaient ainsi nombre
de leurs lettres par des formules comme « Par la Force du Dieu Éternel », « Par la Force de
l’Être suprême », …


Enfin, même convertis à l’Islam, la coutume de la foi en Tengri a longtemps perduré chez les
Turcs, le nom même de Tengri étant attribué à Allah dans les premiers textes traduits en turc.
En Hongrois, « Ciel » se dit « Ég ». Il est fascinant de voir combien il peut se substituer au mot
Dieu dans des expressions comme celle de « Ég Veled ! ». Et comment ne pas se rappeler ls
mots « bleu » (kék) et « mer » (tenger), qui évoquent aussi cette idée de l’immensité du ciel.
Pour la religion proto-hongroise, ainsi que celle des peuples apparentés, le monde était composé
de 3 parties : le Ciel, la Terre et les Enfers, reliés entre eux par un arbre, « l’Arbre de vie » ou
« l’Arbre du monde ».


Il y a dans la mythologie hongroise, une création unique, celle de la Boldogasszóny, ensuite
assimilée à la Vierge, mais aussi une place très importante à l’Égig éro fa. Et c’est cet arbre que
l’on retrouve dans les motifs folkloriques, brodés ou peints, mais aussi dans des chansons
modernes influencées par les vieux contes et légendes, cet arbre qui monte jusqu’au Ciel. Il faut
comprendre « jusqu’à Dieu ».


Il s’agit aussi de la Colonne qui soutient le Monde, « l’Axe du monde », par exemple
représenté dans les yourtes par le mat central, « l’Arbre de Dieu », qui soutient la construction.
Dans les pratiques chamaniques, on retrouve ce concept de l’arbre, ou d’une montagne, que le
chaman doit grimper, à l’aide d’un escalier spécialement aménagé pour lui, le plus souvent par
9 échelons, parfois 8.


Ces nombres ont une haute valeur symbolique, notamment le 9, qui est le produit de 3 x 3, un
des nombres sacrés, que l’on retrouve dans la Création. Dans les légendes et contes locaux, il
est souvent question de 3 animaux, 3 enfants ou 3 jeunes filles, 3 marmites, 3 jours,… On y
évoque aussi les « 7 ciels » ou encore les « 9 voûtes ».


Toujours solidement implanté dans de nombreuses contrées du monde, dans les peuplades
d’Amérique du Nord ou centrale, en Afrique et en Océanie, le chamanisme connait
actuellement un regain dans notre monde occidental. Mais, pour le propos de ce Midi, c’est
plutôt celui de Sibérie et d’Asie centrale qui nous intéresse, par sa richesse et ses spécificités,
soit celui que le mot désigne, stricto sensu.


Il n’y en en fait pas un chamanisme mais des chamanismes. Ou plutôt, des pratiques
chamaniques partageant manifestement un important tronc commun, mais avec quelques
pratiques bien spécifiques, vu les nombreuses peuplades concernées, soit une même façon de
concevoir et de regarder le monde, mais des différences dans les rituels pratiqués ou dans leur
signification plus particulière.


Le chamanisme est aujourd’hui très documenté, du moins, dans sa forme contemporaine, redécouverte
lors des grandes explorations et du boum ethnologique des 19 et 20ème siècles.

Pour certains auteurs, il s’agit d’une religion à part entière. Mais il est plus exact de parler
plutôt de pratiques, religieuses, magiques ou simplement liées à la vie quotidienne, qui ont pu
coexister avec différentes religions, évoluer et s’influencer, puis se fusionner par syncrétisme.
Pour ma part, je le vois parfaitement s’intégrer dans les conceptions et la vision du monde de la
religion tengriste, celle d’un monothéisme spécifique et très teinté d’animisme.
La pratique de la hutte à suer se rencontre aujourd’hui très fortement en Amérique du Nord et
en Amérique centrale. Elle peut présenter de nombreux points communs avec la pratique plus
mystique des origines du sauna finlandais.


On en retrouve notamment des traces dans des documents historiques, comme la description
qu’Hérodote fait d’une cérémonie de hutte à suer chez les Scythes, qu’on retrouve dans le
Codex de Kassa (qui date lui du13e S).


En Hongrie, les pratiques des Táltos sont encore décrites - et interdites - sous les Habsbourg dès
la fin du 17ème S.

La pratique de la « hutte à suer » est assez simple en soi mais elle répond à un rituel bien précis.
Un trou circulaire est creusé dans le sol et recouvert d’une armature en bois, pour accueillir
plusieurs épaisseurs de couvertures. Cette hutte, d’un diamètre d’environ 3 mètres sur 1,5 m de
haut, reste aujourd’hui montée de façon quasi-permanente. Dans les temps anciens, 3 fins
arbres, de préférence des saules ou des noisetiers, étaient pliés et recourbés vers le sol pour
obtenir ainsi 6 montants, sur lesquels étaient entassés des peaux de laine.


L’accès à la hutte se fait par une « porte », située au niveau du sol, également faite de
couvertures, qui permet de remonter vers la surface en pente douce. Au centre de la hutte est
creusé un trou, où seront ensuite successivement placées des pierres chauffées.


La hutte en elle-même est une des 3 composantes symboliques de la cérémonie. La disposition
des lieux est étudiée : une hutte ne peut pas être creusée n’importe où et n’importe comment.
Sa forme ronde, comme celle des anciennes yourtes, est perçue comme une matrice, la matrice
de la Terre-Mère, tout en étant un symbole très fort du caractère complet de la Terre. Il s’agit
d’une représentation de la Féminité.


Son axe, avec l’ouverture de la hutte, est orienté de préférence vers l’Orient, plus rarement vers
l’Occident. Un petit chemin de terre part de la porte d’entrée de la hutte, d’environ 2 m de long
ou un peu plus, qui représente un cordon ombilical, 2ème composante symbolique.


Dans l’axe de la porte, au bout de ce cordon, se trouve un autre cercle, de même taille, délimité
par des pierres et renfermant en son centre un grand feu de bois, la 3ème composante.
Ce feu – être vivant et sacré, qu’il convient de respecter, en n’y jetant par exemple pas des
saletés – est constitué d’un bûcher sur lequel reposent les pierres à chauffer puis d’un autre
bûcher, entourant et recouvrant le précédent.

Au milieu de l’axe entre les cercles est érigé un autel, constitué d’une petite motte de terre ou
d’une pierre. Il est entouré de petits drapeaux, des morceaux de bois avec un ruban de couleur
qui désignent les 4 points cardinaux : un noir, un blanc, un rouge et un jaune (ou un doré ?).
[couleurs LLO – mais surtout, couleurs de base de l’alchimie, vers l’or, la Lumière]
Les participants peuvent placer sur cet autel de petits objets (bijoux, amulettes) ou des fleurs
pendant la tenue. Près de cet autel sont déposés des bois de cerf, rappelant le Csodaszarvas de
la mythologie hongroise, le Cerf Merveilleux, qu’on retrouve aussi dans nombre de légendes
occidentales.


Le feu symbolise le Soleil, la force masculine, tandis que la hutte, avec son entrée sous terre,
représente la Lune, le côté féminin, la Terre-Mère. Il est intéressant de souligner que, dans
certaines peuplades plus matriarcales, cette polarité peut être inversée…


Cette dualité renvoie ainsi à un mode de représentation des ancêtres, une façon de voir le
monde de la Création et qui fonctionne sous le principe de paires opposées, qui ponctuent notre
vie et qui doivent s’équilibrer harmonieusement.


Ces paires sont par exemple : [noir/blanc], le feu/l’eau, ciel/terre, jour/nuit, Soleil et Lune, ce
qui est en haut/le haut et ce qui est en bas/le bas, l’extérieur et l’intérieur, la lumière et l’ombre,
la santé et la maladie, la femme et l’homme, le visible et l’invisible, la force qui aide et celle qui
fait du tort, l’unité et la dualité, l’amour et la peur, etc.


Quant aux rubans de couleur, chaque couleur, associée à un des points cardinaux, se voit
attribuer des qualificatifs, rappelant les saisons, la lumière ou l’obscurité, le froid ou la chaleur,
la renaissance de la nature, les moissons, la vie et la mort, la douceur et la dureté, ...
Après la tenue, j’ai demandé au « Conducteur » de la cérémonie - c’est la signification
étymologique de son nom - de m’expliquer la symbolique des couleurs, leur signification. En
peu de temps, il m’a expliqué d’une façon incroyable et pourtant compréhensible, fascinante
même, chacune d’entre elles, la décrivant par toute une série d’adjectifs, avec des liens qui me
semblaient tellement évidents, tellement pertinents…


Bien évidemment, par la suite, plus moyen de recoucher cet « enseignement » sur papier. Trop
complexe, spontané et beaucoup moins évident à écrire... Un de ces moments de transmission
orale qui marque mais qui reste fugace et qu’on regrette de ne plus retrouver ensuite.
J’ai décidé de rechercher par moi-même la signification de ces couleurs. Et j’ai appris que les
couleurs choisies étaient bien souvent les mêmes, mais qu’elles pouvaient diverger en fonction
de l’origine géographique ou du peuple d’origine du chamane.


J’ai aussi trouvé des croquis expliquant la disposition et la signification des arceaux de la
structure et des intersections entre eux, formant toute une représentation du monde avec,
notamment nos 4 couleurs clairement et distinctement attribuées à un des points cardinaux et
donc, placées à en un endroit bien précis par rapport à l’axe Lune-Soleil, Hutte-Feu.
Malheureusement, en deux endroits différents, mais aussi au même endroit mais à des moments
différents, j’ai vu que l’ordre et la succession de ces couleurs n’étaient pas respectés…
Alors qu’en est-il exactement ? Y a-t-il un sens propre et défini à attribuer à chacun de ses
drapeaux ? Où s’agit-il d’une interprétation libre pour autant que le sens général y reste ?


Et cela m’amène à cette question,: si nous faisons, en loge, certains signes,
certains gestes, certains mouvements, ont-ils un sens bien précis, une signification claire et
fixée ? Comment est-il possible, entre nous, de ne pas faire exactement ces signes et gestes
de la même façon ? Cette autre question vient ensuite : pourquoi faisons-nous cela ?
Pourquoi fait-on cela ainsi ?


J’ai essayé de compléter mes carnets et voici la symbolique de ces rubans, comme elle est
ressentie là-bas :




 

Carnets de voyage(s) : la Hutte à suer

Concernant la cérémonie, elle débute en fait au moment où les participants sont conviés à se
réunir. Une préparation mentale leur est demandée, afin de se détacher, de se couper plus
facilement des préoccupations, disons, matérielles, avec une forme de jeûne qui est demandée.
Une tenue vestimentaire particulière et adéquate est requise, de préférence des vêtements
amples, de couleur blanche, par pureté, mais aussi pour supporter plus confortablement la
chaleur et le taux élevé d’humidité dans la hutte, tout en cachant le corps des participants de
chaque sexe pour éviter toute mauvaise pensée ou distraction durant la cérémonie.


La tenue débute avec la préparation du feu puis les participants rassemblent et placent à côté
du cercle de pierres délimitant l’espace réservé au feu, 4 rangées de chacune 7 pierres.
Le conducteur de la hutte prend alors chacune des pierres, une à une. Il les frotte avec du sel. Il
les élève ensuite vers l’Est, puis vers le Sud, vers l’Ouest et vers le Nord. Il les montre ensuite
vers le Ciel puis vers la Terre, soit vers le Haut puis vers le Bas, tout en adressant une prière
au Créateur, avant de placer les pierres, toujours une par une, sur le bûcher central. Une fois les
pierres placées, l’ensemble des participants dispose alors les morceaux de bois autour du bûcher
qui supporte les pierres, tout en le recouvrant.


28 pierres se retrouvent ainsi dans le bûcher… Ce nombre de 4 x 7 se réfère au cycle
lunaire. 4 est un chiffre symbolique, qui renvoie aux 4 points cardinaux… Tandis que 7 est
composé de 4 + 3, soit les 4 déjà cités ainsi que les 3 que sont le Ciel, la Terre et le Centre.
Ce « Centre » représente le « point de la Création », qui n’est autre que le « coeur », le
« chakra du coeur » ou la « couronne du coeur », car, si nous vivons en équilibre, c’est parce
que le « coeur », l’amour, guide notre existence. CSaKRa - CSoKoR
Il s’agit très clairement d’une rencontre entre le monde de la Terre et celui de l’Esprit. La
cérémonie, du moins, sa partie « sacrée » commence réellement avec l’allumage du feu.

Dès ce moment, un axe symbolique et énergétique est créé entre le cercle contenant le feu et
celui de la hutte. Il n’est alors plus permis de le franchir. L’espace est devenu sacré. La
circulation autour du feu et de la hutte se fait obligatoirement dans le sens horloger. Après un
certain temps, une fois que les pierres sont suffisamment chauffées, le Conducteur donne le
signal pour entrer dans la hutte et les participants sont appelés à y entrer, sous sa conduite.
La porte de la hutte est basse : on ne rentre pas en se pliant ou en se tordant, mais à 4 pattes, en
signe de respect. Le sol - la Terre - est embrassé au moment de rentrer, puis de sortir. A
l’intérieur, la circulation se fait également dans le sens horloger. Après avoir fait le tour de la
hutte, le Conducteur se place à côté de l’entrée. Il donne le rythme, ferme et ouvre la porte,
plongeant l’intérieur de la hutte dans le noir ou laissant entrer la lumière (et de l’air frais) à
chaque période de « repos » entre les différentes étapes.


Les 7 premières pierres sont alors amenées par l’assistant du Conducteur, « l’homme-feu », qui
ne participe pas à la cérémonie à l’intérieur de la hutte. Le premier cycle de la tenue à
l’intérieur est alors entamé. Le rôle de cet assistant, obligatoirement un homme, est de veiller au
feu et d’apporter les pierres, soit avec une fourche de fer, soit les bois de cerf, mais également
de veiller, de l’extérieur, à la sécurité des participants.


Le Conducteur place des herbes aromatiques et des herbes séchées sur les pierres brûlantes : de
la sauge, du genévrier, du cèdre, du thym et encore d’autres plantes. Il asperge ensuite le tout
d’eau, ce qui provoque une forte vapeur à l’intérieur de la hutte.


Le but poursuivi est de se purifier, physiquement, de nettoyer son corps par la sueur (comme
dans la pratique d’un sauna), mais également de purifier son âme ou son esprit, en rentrant en
contact avec Dieu, avec le Principe créateur unique, avec des esprits, dont ceux de ses propres
ancêtres, de formuler ses requêtes, prières ou questions.


La cérémonie comprend 4 étapes, ponctuées de chants et de prières, ainsi que de demandes,
d’intentions ou de remerciements, à des moments bien précis. A chaque apport des 7 nouvelles
pierres chauffées, la température monte encore plus et la vapeur devient plus forte dans la hutte.
Certains chants sont répétés, comme des mantras, certainement pour permettre de focaliser son
attention à « communier », soit à créer un état d’esprit commun - un égrégore.


La seule chose qui est bien fixée est l’ordre de prise de parole : d’abord le Conducteur, ensuite,
en tournant tout en suivant la course du Soleil, chacun des participants peut prendre la parole.
Chacun commence à parler en utilisant d’abord une expression bien particulière.
Il dit ensuite son intention, son remerciement, sa prière, ce qu’il veut… Puis, indiquant qu’il a
terminé de parler, il utilise la formule : « Minden a rokonom » (Tout est ma famille/mes
parents). Quand le tour de parole est fait, des chansons plus spécifiques sont adressées à
chacune des directions.


L’épreuve de la « hutte à suer » constitue un formidable voyage en soi, à la découverte de soi,
une expérience vécue bien personnellement, mais en groupe… L’aspect symbolique est
particulièrement intéressant, la quatrième et dernière étape étant celle de la mort et de la
renaissance, qui ressort ainsi clairement des intentions de ce chant :


Halálban születek, születve meghalok Je nais dans la mort, je meurs en étant né
Egyszerre kigyúlnak, kihúnynak csillagok Les étoiles s’allument et s’éteignent en même temps
Keletről jön a fény, nyugaton megpihen La lumière vient de l’Est et se repose à l’Ouest
Minden lét elmúlik, s nem múlik semmi sem Toute existence se termine et rien de rien ne se termine


Et que dire de cet autre chant :


Kődal Le Chant de la pierre (Sólyomfi Nagy Zoltán)
Kő hangján szól hozzánk az ég Le Ciel s’adresse à nous par la voix de la pierre
Víz mossa át imánk tüzét L’eau nettoie le feu de nos prières
Gőz gyermek száll dalunkkal el L’enfant de vapeur s’envole avec nos chants
Földasszony méhe átölel La matrice de la Terre-Mère nous enlace


Si quelqu’un ne peut plus supporter l’épreuve de la hutte, il peut alors la quitter lors de chacune
des pauses entre les différentes phases mais, alors, il ne pourra plus y revenir pendant la Tenue.
Il est vrai que, lors de la naissance, on ne se promène pas dehors-dedans, etc.


A la fin de la Tenue, les participants quittent la hutte, toujours suivant la marche du Soleil, et,
une fois dehors, ils se couchent dans l’herbe. Ce passage de l’obscurité à la lumière, de la
chaleur à l’air, se vit comme un moment magique et de libération, de renaissance…

Enfin, avant de terminer cette étape de notre voyage de ce Midi, je voudrais encore vous
préciser que tout ce qui est dit et fait dans la hutte à suer, durant la tenue, « reste dans la
hutte à suer » et ne peut pas être répété à l’extérieur, même si chacun est libre de parler de sa
propre expérience.


Après la cérémonie, après un certain temps pour permettre de récupérer physiquement des
épreuves de la Terre, du Feu, de l’Eau et de l’Air, les participants partagent un repas tous
ensemble. Ha, j’allais oublier. La fameuse expression utilisée par chacun, dans la hutte, au
moment de prendre la parole est : « Mes Frères »…


Durant cette initiation – c’en est une - et cette re-naissance, les nouveaux venus sont ainsi
« reconnus » par le chamane-conducteur, qui les appellent « Mes Frères / Mes Soeurs ». Et
c’est également de cette façon qu’ils s’appellent ensuite entre eux. En hongrois, le mot est testvér
pour « corps » et « sang », soit « le sang d’un même corps ».


Tiens, à propos, VM, MMFF, savez-vous comment on désigne une « hutte à suer » dans le
monde anglo-saxon ?


A « sweat… lodge »…
Il y a beaucoup, beaucoup qui nous attend encore… Je vous souhaite de
bien remplir vos Carnets de voyage, en vous.
 

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Rédigé par FR2

Publié dans #pl:.

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Publié le 19 Mai 2022

Cet article est reposté depuis la Franc Maçonnerie au Coeur.

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Rédigé par Jean-François Guerry

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Publié le 14 Mai 2022

Rédigé par FR2

Publié dans #vidéo, #GODF

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