Histoire et Mémoires

Publié le 1 Avril 2018

 

Je me sens ce Midi une lourde responsabilité, du moins je me la mets tout seul. C'est celle de ne pas dire sur trop de bêtises sur un thème qui me semble aussi fondamental pour le développement des personnes et des sociétés.

 

Oui, oui, je reconnais que cela fait très grandiloquent mais je le pense sérieusement. La relation dialectique entre la mémoire (ou les mémoires) et l’Histoire (vous ne voyez pas le grand H sur ma feuille mais il est présent) est centrale par exemple dans la construction de l’identité ou/donc dans la foi en l’avenir, deux éléments qui participent par exemple à la montée en force des mouvements se réclamant d'un passé fantasmé et réécrit (salafisme, nationalisme, sectes protestantes, etc.)

Je souhaite éviter l’écueil de partager avec vous mes réflexions sur le sujet de manière trop austère…espérons que j’arrive à aller contre ma nature.

 

Mais pourquoi avoir choisi de plancher ce midi sur le thème de l’Histoire et de la Mémoire ?

Parce que j’ai une mémoire du vécu déplorable et que par glissement je n’ai pas trop confiance dans le processus de construction de la mémoire mais on y reviendra. Puis la mémoire est tellement évolutive, traitresse et personnelle. Prenons un exemple simple. La double initiation vécue et partagée a donné lieu à 2 impressions d’initiations très différentes et si nous devions refaire cet exercice maintenant cela donnerait d’autres résultats.

Parce que je suis sensible à l’Histoire qui est une des clefs pour comprendre beaucoup de choses (la finalité inexorable de la vie, l’altérité, les forces et les faiblesses de l’humanité etc.)

Parce que j’entends trop souvent chez des gens que j’aime ou chez des étrangers des aberrations ou des erreurs historiques et que cela me chagrine pour eux et pour la société.

 

Messieurs, je suis dans l'obligation d'essayer de définir les termes (sans h) d'histoire et de Mémoire.

Commençons par l’Histoire. Hérodote, celui qui est considéré comme le père de cette science, parle d'une « une procédure de vérité » et d'un discours critique pour parler du travail de construction de l'histoire. Plus près de nous, le grand historien Pierre Nora décrit l'histoire comme « une reconstruction problématique et incomplète de ce qui n’est plus ; elle n’est pas vérité absolue, mais une démarche ». Par problématique il entend évidemment problématisée et pas qui pose problème.

Pour le dictionnaire (honte à moi je ne me souviens plus si c'est le Larousse ou le Robert que j'ai utilisé) l'histoire est une reconstruction scientifiques et rationnelle des événements du passé par les historiens, qui vise à être objective et à faire comprendre le passé avec un recul critique. Un travail sur les témoignages, les archives, des sources variées.

Avoir besoin de 3 définitions pour essayer de cerner une discipline, un concept est signe, s’il en est besoin de sa complexité…Mais continuons à essayer d’affiner notre compréhension de ce qu’est l’Histoire. Évidemment je vais parler de situation idéale…

L'Histoire n'est pas une religion parce qu'elle est critique et laïque.

L'Histoire n'accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît aucun tabou.

L’Histoire n'a pas pour rôle d'exalter ou de de condamner, il explique.

L’Histoire n'est pas esclave de l'actualité.

L'historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n'introduit pas dans les événements d'autrefois la sensibilité d'aujourd'hui. Et oui l'historien ne condamne pas la traite négrière, ou la Shoah, du moins pas en tant qu'historien ce qui n’empêche pas l’historien, homme ou femme, de le faire. Il étudie de manière aussi rationnelle que possible le sujet.

Les films Amistad ou le fils de Saül ne sont pas œuvres d’historiens ce qui n'enlève rien à leurs qualités artistiques, émotionnelles et de prises de conscience.

 

Pour résumer et en forçant un peu le trait : l’Histoire est donc dans une logique rationnelle portant sur des enjeux scientifiques alors que la mémoire est dans une logique émotionnelle sélective portant sur des enjeux idéologiques.

Alors c’est quoi la mémoire ? C’est un vécu d'événements par des individus ou des groupes, et sa transmission via des souvenirs et des représentations du passé. Chacun possède une mémoire mais la mémoire peut également être collective.

Elle est également plurielle parce qu'elle émane de différents groupes sociaux (la bataille du rail), partis (le parti des 100 000 fusillés), Églises (souvenirs des croisades), communautés linguistiques (Louvain), régionales (guerre de Vendée) et de différents individus (mariage pour tous). La mémoire est du registre du sacré, de la foi. La mémoire est sujette au refoulement.

 Mais comme le rappelle Maurice Halbwachs, disciple de Bergson, « la mémoire collective se construit toujours en fonction des enjeux du présent ».

 

Un exemple. Quel événement est le plus important dans le monde pour vous depuis disons 1980 ? Nous sommes 15 entre les Colonnes et nous aurons sans doute autant de réponse. Certes parce que nous sommes d’opinions politiques et religieuses ou d’âges différentes, certes parce nos centres d’intérêts sont différents mais parce que nos mémoires sont différentes.

Ce qui fait qu’on se souvient au niveau émotionnel ce sont les pratiques commémoratives qui vont de la volonté de ne pas oublier les faits du passé à la recherche de compensations morales, symboliques ou financières et entrainent une véritable concurrence mémorielle.

 

Et cette concurrence émane du grand public et surtout des victimes et de leurs descendants  une « demande sociale d'histoire ». Demande à laquelle les politiciens répondent par des lois dites mémorielles

Mais une grande partie de la communauté historienne est aujourd'hui hostile à ces lois mémorielles (comme la loi Gaysot de 1990 sur le négationnisme, puis les lois du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien, celle du 21 mai 2001sur l'esclavage, celle du 23 février 2005 sur le colonialisme). Elle juge qu'il est anormal dans un État démocratique d'imposer aux historiens et par voie de conséquence aux jeunes générations, via l'école, une vision et une écriture officielles de l'histoire. La mission de l’école est de faire droit au travail de la raison, non d’être la caisse de résonance des passions collectives. Mais l’école est devenue trop poreuse aux luttes sociales.

 

Le – tristement - fameux  devoir de mémoire pousse à 3 postures :

  • Le repentir et le remords (détestable pour l’historien)
  • Le dolorisme et la victimisation (pour soutenir des revendications)
  • La tentation de l’histoire officielle sans droit d’inventaire et de contextualisation (ex : la récupération de la figure de Guy Moquet)

Voilà pourquoi que je préfère un droit de mémoire à un devoir de mémoire.

 

Et ce devoir peut être accompagné par une branche de l'Histoire qui s'intitule « l'histoire de la mémoire », c'est-à-dire l'évolution des différentes pratiques sociales, de leur forme et de leur contenu ayant pour objet ou pour effet, explicitement ou non, la représentation d'un passé et l'entretien de son souvenir, soit au sein d'un groupe donné, soit au sein de la société toute entière. En Hongrie, Ablonczy Balazs fait un gros travail sur le Trianon. Pour les magyarophones, son livre sorti en 2010 « Trianon legendàk » semble très intéressant (j'ai vu une conférence de Ablonczy en français sur ce sujet).

 

Qu’il semble difficile de passer du temps des mémoires toujours blessées et revendicatives au temps de la fabrication d'une Histoire, distanciée et apaisée.

 

La mémoire communie avec le passé alors que l’Histoire tente de sortir du passé. La mémoire se veut comme un absolu, l’Histoire est dans le relatif ; la mémoire est démultipliée et déchirée, l’Histoire appartient à tous.

 

Pour conclure les liens sont complexes et multiples entre l’Histoire et la mémoire. Les historiens produisent de la mémoire collective en faisant accéder le citoyen à leur savoir. Leur esprit critique permet de prendre du recul et de favoriser la tolérance. De plus, l’historien a aussi sa propre mémoire individuelle, qui oriente ses projets d’études et influence sa vision du monde malgré ses tentatives de recul critique.

Il y a donc une relation dialectique entre Histoire et mémoire, qui se nourrisse l’une de l’autre.

L’histoire peut s’inspirer de la mémoire, peut l’utiliser comme source ou comme objet d’étude tout comme elle peut refuser de l’aider. La mémoire peut déformer l’histoire et l’instrumentaliser. Rappelons-nous qu’au siècle dernier et encore aujourd'hui dans de nombreux pays, l'Histoire avait pour fonction essentielle de légitimer le groupe ou le système au pouvoir, hier la République française, aujourd'hui en Hongrie le régime national-conservateur post-communiste.

 

 

 

 

Histoire et Mémoires
Histoire et Mémoires
Histoire et Mémoires

Rédigé par FR2

Publié dans #pl:.

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article